Le Jour d'Après.
Au jour d'après le Jugement Dernier, la Paix semblait à nouveau s'être installée entre les murs inébranlables du majestueux palais de lumière. Les couloirs dallés de marbre blanc étaient arpentés avec moins de frénésie. Les puissants Séraphins, qui l'avaient quitté quelques années plus tôt, étaient enfin de retour et les choses semblaient peu à peu rentrer dans l'ordre. Les inquiétudes et les incertitudes suscitées par les bouleversements chaotiques de l'Equilibre s'estompaient. L'Ordre revenait et avec lui la Sérénité de tous les habitants de la Cour Céleste. Dans les cours fortifiées, à l'extérieur, les entraînements martiaux des anges se poursuivaient, comme à l'accoutumée, mais la ferveur guerrière était retombée et les exercices étaient beaucoup moins fébriles qu'avant la Bataille de Mayël. La salle du Conseil Divin elle-même semblait étrangement silencieuse alors que très récemment, ses murs avaient tremblé sous les vociférations du Seigneur Lugh à l'encontre du Roi et de son plus proche et plus sombre conseiller. Les Dieux s'étaient disputés, ils s'étaient affrontés au sujet de cette terrible épreuve qu'ils imposaient aux mortels. Mais le Roi était resté intraitable. Comme toujours, il avait fait montre de la fermeté qui était requise par son rang. Et personne, n'aurait pu lui ôter son inébranlable confiance en son Jugement. Que ce fût le Seigneur Lugh et sa rage de voir son peuple servir le Fourbe Malgamoth, que ce fût Klaspios et sa pitié pour le Champion du Roi, Healmak et ses lamentations au sujet de la Souffrance des Mortels ou même Niva et ses inquiétudes quant à l'inversion des Lois de l'Equilibre, aucun n'avait pu infléchir la Résolution du Roi.
Siégeant impérieusement dans la Salle du Trône de la Cour Céleste, le Chevalier, impassible, observait le sol dallé. Il était seul. Il semblait absorbé par la contemplation de choses que lui seul pouvait voir. Et c'était le cas ; sous les yeux du Roi, défilait le Monde.
Cette fois la leçon semblait avoir été comprise. Tout avait été dit, tout avait été appris. Quel gâchis pourtant, quels sacrifices avait-il dû consentir pour qu'enfin Sa Parole soit entendue. Les Mortels avaient été si prompts à renoncer à ses enseignements ; ils avaient bafoué les lois, ils avaient perdu courage et pire, ils avaient douté de leur Foi lorsque les épreuves se durcissaient. Les mortels étaient-ils devenus si faibles au fil des siècles ? Avaient-ils oublié ce qu'impliquait la Foi envers les Dieux gandoriens ? Ces derniers s'étaient-ils montrés trop protecteurs ou trop investis envers leurs fidèles ? Sans doute, puisque les mortels semblaient avoir oublié à quel point ils devaient être honorés de l'attention des Dieux et quelle gratification ils devaient ressentir lorsqu'ils étaient choisis pour accomplir les grands desseins de leurs divinités. Certes parfois les épreuves que les Dieux imposaient à leurs serviteurs leur semblaient cruelles mais cependant elles étaient nécessaires pour forger leur volonté et éprouver leur fidélité. Les Dieux ne pouvaient dispenser leurs bienfaits à la légère. Et Haëroon se souvenait des déceptions qu'il avait connues avec son dernier Champion. Pour s'être entretenu avec ses pairs, Niva notamment, il savait qu'il n'avait pas été le seul à être déçu par les mortels. Mais les Enfants ne sont que les reflets de leurs Parents. Et lorsqu'ils ne font pas preuve de sagesse, ils doivent être punis. Et la punition avait été infligée. Les Dieux avaient sans doute leur part de responsabilité dans la faiblesse de l'Humanité. Les Mortels devraient se souvenir de cette Leçon, car Haëroon était résolu à faire preuve d'une plus grande sévérité envers les Infidèles. Bientôt il mettrait à nouveau les Mortels à l'épreuve. Lorsqu'ils seraient prêts, il éprouverait leur Foi. Mais pour l'heure, ils avaient encore besoin d'un peu de temps pour assimiler l'Enseignement reçu.
Soudain, il sentit une présence ténébreuse derrière son Trône. Comme toujours, nul n'aurait pu dire d'où elle venait. Sans même ciller ni se retourner, il savait qui se tenait à ses cotés désormais :
― Ils seront bientôt prêts, Majesté. Il sera alors temps pour moi de ranimer mes pièces …
― Oui Seigneur Malgamoth, effectivement. Mais veillez à ce qu'elles ne se mobilisent pas trop tôt. Laissons le temps aux Mortels d'enseigner la Leçon qu'une poignée a reçue. Ensuite nous les éprouverons et nous verrons s'ils sont capables de tenir leurs résolutions.
― Bien Majesté, votre Volonté sera accomplie …
― … et ma Loi ne sera pas transgressée, n'est-ce pas ?
― Bien évidemment Votre Immanente Majesté !
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Lorsqu'il disserte les sages s'abreuvent de ses paroles
Mais lorsqu'il fait silence, même les Oracles plongent dans l'incertitude.
Tel est Zortanos le Voyageur, dit le Sage Errant.